Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs, de recours dirigés contre la loi de finances rectificative pour 2000, adoptée le 21 décembre 2000. Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I. - Sur la sincérité des prévisions
de recettes et du déficit
A. - Le recours présenté par les députés adresse à la loi de finances rectificative pour 2000 un certain nombre de critiques tirées du principe de sincérité budgétaire.
Ils estiment que ce texte comporterait une prévision de recettes fiscales « manifestement sous-évaluée » et fixerait le niveau du déficit budgétaire de l'exercice 2000 à un niveau « manifestement erroné ».
B. - Cette critique est mal fondée, en droit comme en fait.
A titre liminaire, on rappellera d'abord qu'il convient de bien distinguer ce qui relève des débats d'experts ou de l'appréciation politique sur la gestion des finances publiques de ce qui peut mettre en cause la conformité à la Constitution de la loi de finances au regard du principe de sincérité du budget.
Ce principe, en effet, s'applique ici à un exercice de prévision marqué par des aléas importants. Il porte sur des masses telles qu'un faible écart par rapport à la prévision initiale déplace plusieurs milliards ou dizaines de milliards de francs. En outre, impôt par impôt, les effets de calendrier, les modes de recouvrement et les modifications de la législation compliquent encore l'exercice.
Dans ces conditions, les chiffres retenus par le Gouvernement peuvent évidemment faire l'objet de débats, et il s'avère au demeurant que les recettes finalement enregistrées font toujours apparaître des écarts avec les prévisions de la loi de finances initiale et même avec celles de la loi de finances rectificative de fin d'année. Mais, au plan juridique, seule une sous-évaluation manifeste, dénaturant la signification du contrôle parlementaire sur ces prévisions, pourrait donner prise à un contrôle de constitutionnalité.
C'est au demeurant ce que le Conseil constitutionnel a expressément jugé, en réponse à des griefs analogues à ceux qui sont soulevés en l'espèce, dans ses décisions relatives à la loi de finances rectificative pour 1999 (no 99-425 DC du 29 décembre 1999) et à la loi de finances pour 2000 (no 99-424 DC du 29 décembre 1999), qui se réfèrent à la notion « d'erreur manifeste » pour marquer les limites du contrôle de constitutionnalité dans ce domaine.
C'est compte tenu de ces considérations préalables que les précisions suivantes peuvent être apportées.
1. S'agissant des évaluations de recettes, et contrairement à ce qu'affirme le recours des députés, les chiffres définitifs d'encaissements de recettes fiscales à fin septembre ne remettent pas en cause les évaluations de recettes présentées dans le cadre du projet de loi de finances rectificative de fin d'année.
a) En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, plusieurs éléments méritent d'être soulignés.
Compte tenu du niveau atteint à la fin septembre (186,2 MdsF), l'évaluation présentée (255,7 MdsF) suppose 69,5 MdsF d'encaissements nets au dernier trimestre, soit un niveau proche de celui de l'an dernier (70,5 MdsF). Cette prévision tient compte de la suppression de la contribution supplémentaire temporaire instituée en 1997, qui devrait se traduire par une perte de recettes en décembre de 10,5 MdsF, correspondant au flux de recettes constatées en décembre 1999 à ce titre. Elle intègre donc près de 10 MdsF de plus-values « tendancielles » par rapport à 1999.
Les plus-values constatées sur le flux d'encaissements de septembre ne s'élevant qu'à 5,2 MdsF (45,6 MdsF contre 40,4 MdsF), on voit que la prévision associée au projet de loi de finances rectificative n'est nullement pessimiste, puisqu'elle suppose un ressaut en décembre, supérieur de 5 MdsF au ressaut constaté en septembre sur le troisième acompte 2000. L'effet de la suppression de la contribution temporaire étant concentré sur le mois de décembre, il existe bien une raison objective pour que la progression des recettes d'impôt sur les sociétés constatée à fin septembre ne soit pas extrapolée au résultat d'exécution.
De fait, l'aléa inévitable, à ce stade de l'année, sur les recouvrements d'impôt sur les sociétés, est plutôt légèrement à la baisse, puisque le mois de décembre 1999 bénéficiait pleinement de l'effet accélérateur qu'induit le mode de recouvrement par acomptes et solde : les encaissements de décembre 1999 reflétaient la forte accélération de l'assiette, c'est-à-dire du bénéfice fiscal en 1998. Une telle accélération ne paraît pas devoir être observée sur le bénéfice fiscal 1999.
b) S'agissant en deuxième lieu de l'impôt sur le revenu, l'écart de 6 milliards de francs mentionné dans la saisine entre dans la marge d'incertitude affectant la prévision, puisque cet écart ne représente que 1,7 % du montant total d'encaissements attendu.
Par ailleurs, pas plus que pour l'impôt sur les sociétés, la progression observée à fin septembre n'est extrapolable à l'ensemble de l'année. En effet, la progression observée sur les premiers mois de l'année 2000 est liée au mécanisme de recouvrement par acomptes et solde : le dynamisme du revenu des ménages en 1998 s'est traduit par un montant élevé de versements au titre du solde 1999 et, par voie de conséquence, des acomptes 2000, qui s'inscrivent en forte progression par rapport aux acomptes 1999. Cette progression ne devrait pas se retrouver dans le solde 2000.
On peut d'ailleurs remarquer que selon les chiffres même cités dans le recours, les rentrées d'impôt sur le revenu ont fortement ralenti entre juillet et septembre, leur progression annuelle passant de 9 % à 6,7 %. Ce ralentissement s'est confirmé depuis lors, ce qui conforte la prudence de l'évaluation associée au projet de loi de finances rectificative.
De manière générale, il convient de souligner que les éventuelles plus-values qui pourraient être constatées en exécution sur certains impôts sont compensées par de probables moins-values sur d'autres impôts, notamment l'impôt sur les sociétés, pour les raisons mentionnées plus haut, et la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), compte tenu de la faiblesse des rentrées enregistrées à fin novembre (- 0,9 % par rapport à novembre 1999, contre + 1,3 % à fin septembre).
Au total, rien ne permet d'affirmer que l'évaluation des recettes fiscales présentée soit entachée d'un biais négatif.
c) Quant aux recettes non fiscales, il convient de souligner que le Gouvernement dispose d'un pouvoir d'appréciation pour le choix du moment de leur perception, laquelle nécessite généralement un acte juridique qui relève de son initiative. Les choix faits à cet égard ont été portés à la connaissance du Parlement, ainsi qu'il ressort notamment de l'exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative.
Ainsi le Gouvernement a proposé, en ce qui concerne le compte Etat à la COFACE et les fonds d'épargne gérés par la Caisse des dépôts et consignations, de renoncer à prélever la totalité des sommes qui avaient été inscrites, à titre prévisionnel, dans la loi de finances rectificative votée en juillet. Cette proposition avait déjà été explicitée dans le fascicule voies et moyens associée au projet de loi de finances 2001.
2. Les recettes n'étant pas sous-évaluées, le solde du collectif de 209,7 milliards de francs ne peut être « ramené à 190 milliards de francs », comme le soutiennent les auteurs de la saisine.
L'exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative pour 2000 précise que le « solde du collectif devrait ensuite s'accompagner d'un déficit probable d'exécution inférieur à 200 milliards de francs ». Cette prévision d'exécution, qui figure pour la première fois dans un projet de loi de finances rectificative, est un gage de sincérité et de transparence vis-à-vis du Parlement. Elle intègre les économies qui seront constatées ex post sur un certain nombre de dépenses, non encore identifiables à ce stade mais statistiquement probables au vu de l'exécution des années passées.
Le solde constaté en exécution diffère en général du solde prévu par la loi de finances rectificative, pour plusieurs raisons :
La loi de finances ne fixe que des plafonds de dépenses. Par rapport à ces plafonds, des économies sont régulièrement constatées en fin d'année sur la consommation des crédits de certains chapitres, sans qu'il soit possible de les identifier à l'avance au stade du collectif budgétaire. Ces économies se traduisent par des annulations en loi de règlement ou par des reports de crédits sur l'exercice suivant.
Les reports de crédits ne sont pas retracés en loi de finances. Ainsi, 75,4 MdsF de crédits ont été reportés de 1999 à 2000 ; une partie sera consommée en exécution, tandis qu'une partie des crédits ouverts en 2000 sera reportée sur 2001. Ceci est vrai, en particulier, des dépenses en capital ouvertes par la loi de finances rectificative, compte tenu de sa date de publication.
Les fonds de concours influent également sur la comparaison entre loi de finances et exécution. Conformément à l'article 19 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, les recettes de fonds de concours donnent lieu, après constatation de la recette, à ouverture d'un même montant de crédits en cours de gestion, sur un chapitre d'affectation donné.
Or, certains crédits correspondant à des fonds de concours peuvent être rattachés tardivement sans qu'il soit possible de les dépenser, et se trouver ainsi reportés sur l'exercice suivant. Le rythme de versement des fonds de concours et sa modification éventuelle d'une année sur l'autre n'est pas neutre sur le solde d'exécution budgétaire d'un exercice donné.
Au vu de ces éléments, la prévision d'un solde d'exécution inférieur à 200 MdsF n'entraîne nullement l'insincérité du solde de 209,5 MdsF de la loi de finances rectificative. La communication de cette prévision au Parlement était au contraire destinée à lui permettre de disposer de tous les éléments utiles pour se prononcer.
II. - Sur l'article 2
A. - L'article 2 a pour objet de tirer les conséquences de l'arrêt du 12 septembre 2000 par lequel la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a jugé que les péages perçus par les exploitants d'ouvrages de circulation routière, autres que les personnes morales de droit public agissant en qualité d'autorités publiques, devaient être soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Jusque-là, une société concessionnaire exploitant une autoroute était considérée, en France comme dans plusieurs autres pays européens, comme le mandataire de l'Etat, dès lors que c'est pour le compte de ce dernier qu'elle a construit cet équipement public. Dans cette logique, les péages perçus à l'occasion de l'utilisation de cet équipement public n'étaient pas assujettis. En contrepartie, la société concessionnaire ne pouvait pas récupérer la TVA ayant grevé les travaux de construction.
Toujours selon la même logique, en sa qualité de mandataire de l'Etat, la société perçoit une rémunération pour la prestation qu'elle assure, et qui correspond aux charges d'exploitation. Le régime applicable jusqu'ici consistait donc à n'assujettir à la TVA que cette rémunération, qui correspond à une fraction du montant des péages perçus.
Le I de l'article 2 de la loi déférée abroge les dispositions actuelles. Les II à VI du même article précisent les modalités d'application aux sociétés concessionnaires des règles générales relatives aux « livraisons à soi-même ». Le VII précise la manière dont les principes qui régissent d'ores et déjà le règlement de ce genre de situation dans le passé trouvent à s'appliquer à ces sociétés, en remontant jusqu'au 1er janvier 1996.
Selon les sénateurs requérants, ces dispositions limitent le droit à un recours, en méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789, et portent atteinte à la chose jugée par la CJCE. Le législateur validerait ainsi une doctrine administrative censurée par le juge administratif, sans motif d'intérêt général suffisant. Les requérants estiment d'ailleurs que le mécanisme rétroactif de compensation entre TVA due et crédits de TVA déductible n'est pas non plus justifié par l'intérêt général.
Les requérants considèrent, enfin, que ce dispositif se traduit par une rupture de l'égalité des sociétés devant les charges publiques, selon la date de mise en service de leurs ouvrages.
B. - Ces moyens ne sont pas fondés.
1. En premier lieu, les dispositions contestées ne portent aucune atteinte à la chose jugée par la CJCE, non plus qu'au droit de chaque redevable d'exercer des voies de recours. Il ne s'agit pas davantage d'une validation législative.
Il s'agit seulement de tirer les conséquences d'une situation inédite : celle que constitue la condamnation, par la CJCE, d'une disposition nationale conduisant à ne pas soumettre à la TVA des opérations qui auraient dû être taxées.
a) Dans un souci de sécurité juridique, l'article 2 prévoit, pour l'essentiel, que ces opérations ne seront assujetties qu'à compter de 2001. Le VI du même article permet cependant d'appliquer le nouveau régime de livraison à soi-même, qui est avantageux pour les entreprises concernées, aux ouvrages mis en service à compter du 12 septembre 2000, la date ainsi retenue étant celle de l'arrêt de la CJCE qui a constaté le manquement.
Aucun montant de TVA n'est dû pour le passé, alors même qu'en théorie l'interprétation qui a ainsi été donnée de la directive du 16 mai 1977 signifie que les opérations en cause auraient dû être soumises à la taxe depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1979, du régime issu de la directive.
Toutefois, le régime de la TVA présente, pour les entreprises, l'avantage de réduire le coût effectif des différentes dépenses, y compris d'investissement, qui ont concouru à la réalisation de l'opération taxable : la TVA d' « amont » est récupérable, c'est-à-dire soit imputable sur la TVA due au titre des opérations que réalise l'entreprise, soit remboursable, s'il s'avère que le montant de la première est supérieur à celui de la seconde. Autrement dit, les entreprises qui, en aval, répercutent sur l'utilisateur du service - en l'espèce l'usager de l'autoroute - le montant de la TVA dont elles sont redevables à ce titre, ne supportent en amont, au titre des frais et charges liés à cette opération, qu'un coût ramené à un montant hors taxe.
C'est pourquoi les sociétés concessionnaires, désormais assujetties sur l'ensemble des péages perçus, auraient pu réclamer le remboursement de la TVA d'amont, au titre notamment d'investissements importants réalisés auparavant, le montant de cette TVA supportée sur les travaux pouvant être supérieur à celle due au titre des péages encaissés. Une telle demande aurait pu se réclamer des dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, qui a entendu transposer les règles traditionnelles de la prescription quadriennale aux actions en restitution fondées sur la constatation, par une décision de justice, de la non-conformité de la règle de droit dont il avait été fait application à une règle supérieure, en particulier de droit communautaire.
On relèvera, à ce stade, que cette limitation, qui permet d'éviter des remises en cause remontant trop loin dans le passé, ne méconnaît aucun principe constitutionnel. Elle est d'ailleurs conforme au droit communautaire, ainsi que la CJCE vient de le rappeler dans un arrêt Roquette Frères SA du 28 novembre 2000, dès lors que la limitation de délai de l'action en restitution est raisonnable et s'applique dans les mêmes conditions, que le droit communautaire soit en cause ou non.
Mais conformément au droit commun de la compensation, tel qu'il est défini par l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale serait alors en droit d'objecter au demandeur que, sur la même période, il aurait dû verser la TVA au titre des mêmes opérations. Les sommes correspondant au droit à déduction éventuellement constaté au cours de la période considérée ne peuvent donc être remboursées que dans la mesure où elles sont supérieures au montant de taxe que l'entreprise en cause aurait en principe dû verser au titre de cette même période.
b) Si les dispositions contestées par les requérants ont été introduites au VII de l'article 2, c'est seulement pour préciser et clarifier la combinaison de ces différentes règles, dans le cas, inédit, où la décision de justice dont il s'agit de tirer les conséquences n'a pas constaté que des impositions ont été réclamées à tort - ce que le législateur avait essentiellement en vue lorsque la loi du 29 décembre 1989 a inséré les dispositions mentionnées plus haut dans l'article L. 190 - mais a, au contraire, jugé que des opérations avaient, à tort, échappé à l'impôt.
C'est ainsi que, pour le passé, le dispositif retenu consiste en principe à réputer que les sociétés sont assujetties, comme elles auraient normalement dû l'être si le droit communautaire avait été respecté, mais en ne remontant que jusqu'au 1er janvier 1996. En contrepartie, elles peuvent déduire la TVA ayant grevé leurs travaux réalisés depuis cette même date. Mais il faut alors distinguer deux hypothèses :
- dans le cas - qui est notamment celui des concessionnaires qui ont réalisé d'importants travaux au cours de la période considérée - où la taxe à déduire à ce titre sera supérieure à celle qui devait être acquittée, les sociétés concernées pourront alors obtenir le remboursement de l'excédent de TVA déductible ;
- si, au contraire, il s'avère que la TVA due sur les péages encaissés au cours de cette période est supérieure à celle qui aurait pu être récupérée, l'article 2 prévoit que la société concernée est dispensée de toute régularisation et n'a donc rien à verser au Trésor.
En résumé, plutôt que de replacer intégralement les sociétés concessionnaires dans la situation qui aurait dû être la leur, avec l'inconvénient de faire verser par certaines d'entre elles la TVA pour le passé, le législateur a pris acte de ce que les exploitants n'ont fait qu'appliquer les règles de TVA qu'il avait jusque-là fixées et, dans un souci de sécurité juridique, il a préféré laisser cette reconstitution de leur situation au regard de la TVA à la discrétion des seules sociétés qui y trouveront un intérêt financier.
Ce dispositif ne méconnaît donc pas la chose jugée par le CJCE, qui n'impliquait pas d'assujettir rétroactivement les entreprises concernées. Et en tant qu'il limite dans le temps la période sur laquelle elles peuvent éventuellement obtenir le remboursement d'un excédent de taxe déductible, ces dispositions ne portent - pas plus que les actuels articles L. 190 et L. 203 du livre des procédures fiscales - aucune atteinte au droit au recours des intéressées.
On précisera enfin que, contrairement à ce qui a été soutenu au cours des débats parlementaires, le mécanisme de régularisation prévu à l'article 226 de l'annexe II au code général des impôts n'aurait pu s'appliquer à l'hypothèse considérée. Ce mécanisme permet à une entreprise qui utilisait des investissements pour les besoins d'opérations légitimement exonérées de TVA de déduire une fraction de la TVA ayant grevé ces investissements lorsqu'elle décide finalement d'affecter ces derniers à la réalisation d'opérations taxées.
Or, dans le cas des exploitants d'ouvrages routiers, les investissements étaient affectés à la réalisation d'opérations considérées à tort comme non assujetties à la TVA alors qu'elles auraient dû, dès l'origine, être soumises à la taxe.
Cette distinction entre, d'une part, le régime applicable en cas de changement d'affectation d'une immobilisation d'une activité exonérée vers une activité imposée et, d'autre part, le régime applicable à une immobilisation initialement affectée à une activité située hors du champ d'application de la TVA et finalement affectée à une activité soumise à la taxe, s'impose à la France compte tenu de la position prise à ce sujet par la CJCE dans un arrêt Lennartz du 11 juillet 1991.
A la suite de cet arrêt, la Commission européenne a demandé en 1993 à la France de rapporter la mesure de tolérance administrative en vertu de laquelle les dispositions de l'article 226 de l'annexe II au CGI bénéficiaient à toutes les immobilisations initialement affectées à des activités non soumises à la TVA, que ces dernières aient été assujetties à la TVA et exonérées de cette taxe ou qu'elles n'aient pas été assujetties à la TVA. Il a été procédé à cette modification de la doctrine administrative par une instruction du 8 septembre 1994 (cf § 169 à 173 du BOI 3 CA-94).
2. En second lieu, la disposition incriminée n'introduit aucune rupture d'égalité entre les sociétés concessionnaires.
Elle s'applique en effet à une catégorie homogène de contribuables, constituée par toutes les entreprises dont l'activité de mise à disposition à titre onéreux d'ouvrages de circulation routière n'était précédemment pas assujettie à la TVA et sera soumise à cette taxe à compter du 1er janvier 2001.
La circonstance que son application puisse, en pratique, avoir pour effet que toutes les entreprises de cette catégorie ne bénéficieront pas, en définitive, d'une restitution de taxe ne traduit aucune atteinte au principe d'égalité, dans la mesure où cet état de fait résulte des différences objectives de situation de chacune de ces entreprises au regard du fonctionnement de la taxe sur la valeur ajoutée.
III. - Sur les articles 3 et 4
A. - L'article 3 de la loi déférée a pour objet d'affecter au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC), au titre de l'année 2000, la part restée affectée à l'Etat de droit de consommation sur les tabacs manufacturés ; pour 2001 et les années postérieures, l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 procède à la même affectation. L'article 4 majore de 350 MF le prélèvement opéré sur le produit de la contribution sociale de solidarité des entreprises (C3S) au profit du BAPSA pour 2000.
A l'encontre de ces articles , les sénateurs auteurs de la seconde saisine invoquent les dispositions de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Ils estiment que, dès lors que cet article dispose que la loi de financement de la sécurité sociale « prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement », les mesures en cause ne peuvent être insérées dans une loi de finances.
Une même critique est d'ailleurs adressée à l'article 37, relatif à la taxe générale sur les activités polluantes, et à l'article 64, relatif à l'échelonnement de la dette sociale de certains agriculteurs, qui font par ailleurs l'objet d'observations plus loin.
B. - Cette argumentation ne pourra être qu'écartée, car elle repose sur une interprétation erronée des dispositions organiques relatives à la loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, les dispositions citées du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale imposent seulement que, chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale comporte une prévision, par catégorie, des recettes de l'ensemble des organismes de sécurité sociale : il s'agit de permettre au Parlement de se prononcer sur des évaluations globales et de s'assurer ainsi, compte tenu des prévisions de dépenses, du financement d'ensemble de la sécurité sociale.
Ces dispositions ne sauraient, à l'évidence, être interprétées d'une manière telle qu'elles empêcheraient le Parlement ou le Gouvernement, dans le cadre de leurs compétences respectives, d'adopter, en dehors des lois de financement de la sécurité sociale, des mesures modifiant sur tel ou tel point le régime des impôts affectés aux organismes de sécurité sociale, des cotisations sociales, ou des autres recettes. Cette analyse est d'ailleurs confirmée par la décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000 relative à la loi de financement de la sécurité sociale, qui précise « que le législateur n'était pas tenu de déterminer dans la loi déférée elle-même le nouveau régime de la taxe générale sur les activités polluantes, nonobstant la circonstance que le produit de cette taxe alimente le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale ».
On peut ajouter à cela que les mesures prévues par les articles 3 et 4 sont très loin d'avoir, sur les recettes de l'année 2000, un effet d'une ampleur telle qu'il en résulterait un bouleversement des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour 2000, tel que défini par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Elles ont, au contraire, et notamment en ce qui concerne l'article 3, pour objet de tirer les conséquences des évolutions constatées en cours de gestion ainsi que de certaines circonstances, telles que la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions relatives à l'une des recettes qu'il était prévu d'affecter au FOREC (décision no 99-423 DC du 13 janvier 2000), de façon à rapprocher les recettes du niveau initialement prévu.
Eu égard à la nature et à l'ampleur limitée de ces ajustements, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'une loi de financement de la sécurité sociale rectificative aurait été nécessaire, au regard des prescriptions de la Constitution et de la loi organique prise pour son application.
En tout état de cause, les conditions générales de financement du FOREC en 2000 ont été retracées dans l'annexe f au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, présentée en application du II de l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale, de sorte que l'information du Parlement a été assurée de manière complète sur ce point à l'occasion de l'examen de ce texte.
IV. - Sur l'article 6
A. - L'article 6 de la loi déférée prévoit l'abandon de créances détenues par le compte de prêts du Fonds de développement économique et social (FDES) sur la Société nouvelle du journal L'Humanité et sur l'Agence France-Presse. Les députés, auteurs de la première saisine, estiment que la mesure concernant le journal L'Humanité est contraire au principe d'égalité.
B. - Cette critique ne saurait être accueillie.
1. Il convient de préciser que la Société nouvelle du journal L'Humanité (SNJH), qui gère notamment le quotidien L'Humanité, a bénéficié en 1990 et 1993 de deux prêts participatifs du FDES d'un montant de 7 et 6 MF, afin d'accompagner la modernisation de la société. Ces créances ont été enregistrées sur le compte spécial du Trésor no 903-05.
Au cours des dernières années, les ventes du quotidien L'Humanité se sont érodées, passant de 68 200 exemplaires en 1991 à 54 200 en 1999, pour ne plus représenter qu'environ 45 000 exemplaires aujourd'hui. Cette diminution des ventes a provoqué une détérioration des résultats de la société et de la situation financière de l'entreprise.
Pour faire face à cette situation, l'entreprise a élaboré un plan de restructuration comportant des mesures de recomposition du capital, de réaménagement du passif bancaire et de rationalisation de la production (diminution des effectifs, centralisation de l'impression en région parisienne). Ces mesures devraient permettre un retour à l'équilibre d'exploitation et une consolidation de la structure financière de la société de nature à assurer sa pérennité.
La décision d'abandonner les créances de l'Etat détenues sur la SNJH s'inscrit dans le cadre de ce plan de redressement. Par cet abandon, l'Etat entend accompagner les efforts de restructuration de l'entreprise engagés par les actionnaires de la société et appuyés par ses partenaires financiers, afin de sauvegarder l'emploi et de maintenir le pluralisme de la presse.
2. Au regard du principe d'égalité, la situation particulière du journal L'Humanité, en droit comme en fait, doit être en premier lieu soulignée :
- du point de vue juridique, seule une autre entreprise de presse bénéficie d'un prêt du FDES, la société SEILPCA qui gère le quotidien La Marseillaise ;
- quant à sa situation de fait, le journal L'Humanité est le seul de ces deux organes de presse d'opinion à se trouver confronté à des difficultés mettant en péril la poursuite de sa parution, la société SEILPCA ne rencontrant pas les mêmes difficultés économiques et n'ayant donc pas engagé de plan de restructuration comparable à celui mis en place par la SNJH.
En second lieu, un intérêt général s'attache à la survie de cette entreprise, qui contribue au pluralisme de la presse française.
On rappellera au demeurant que, de manière générale, il existe des procédures de traitement des difficultés des entreprises qui peuvent déboucher, notamment dans le cadre du comité interministériel de restructuration industrielle, sur des rééchelonnements ou remises des dettes fiscales ou sociales. La mesure prévue n'est pas d'une nature différente de celles qui sont prises dans ce cadre et qui sont justifiées par des objectifs d'intérêt général tels que la préservation de l'emploi, le maintien du tissu économique d'une région ou la sauvegarde d'un secteur de l'économie nationale.
V. - Sur l'article 8
A. - L'article 8 de la loi de finances rectificative a pour objet de créer un compte de commerce destiné à retracer les opérations de gestion active de la dette et de la trésorerie de l'Etat : contrats d'échange de taux et de devises, achats et ventes de contrats à terme et d'options sur titres d'Etat.
Les requérants font valoir que cet article ne respecterait pas l'article 26 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 en ce qu'il omettrait d'évaluer les recettes et les dépenses du compte de commerce créé.
B. - Le Conseil constitutionnel ne saurait retenir ce moyen, car il manque en fait : il résulte des termes mêmes du dernier alinéa de l'article 8 qu'est prévue, outre une autorisation limitative de découvert, l'évaluation du montant des recettes et des dépenses du compte créé. On notera au demeurant que le Gouvernement n'était pas, aux termes de l'article 26 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, tenu de demander au Parlement de se prononcer sur le niveau des recettes et des dépenses, le découvert du compte faisant seul l'objet d'un vote.
VI. - Sur l'article 16
A. - L'article 16 a pour objet l'ouverture de mesures nouvelles au profit du compte de prêts à des Etats étrangers et à l'Agence française de développement (AFD) pour un montant de 400 MF .
Les crédits en cause sont des crédits dits de fonctionnement et seront donc ouverts par les décrets de répartition associés à la loi de finances rectificative sur le chapitre 2 « Prêts à l'Agence française de développement pour des opérations de développement économique et social dans des Etats étrangers ».
Les requérants font valoir que ce prêt serait en réalité constitutif d'une dotation en capital à l'AFD, et devrait en conséquence être retracé par le compte d'affectation spéciale no 902-24.
B. - Cette critique, qui ne met d'ailleurs en cause aucun principe constitutionnel, n'est pas fondée.
L'ouverture réalisée dans le projet de loi de finances rectificative est destinée à permettre un prêt de l'Etat à l'Agence française de développement, qui permettra à celle-ci de réaliser à son tour, conformément à sa vocation, des prêts au profit d'opérations de développement dans des pays étrangers. Cette ouverture et l'emploi qui en sera fait sont donc parfaitement conformes à l'objet du compte de prêts no 903-07.
Il se trouve effectivement que, depuis 1998, certains prêts consentis par l'Etat à l'AFD ont la caractéristique de prêts « subordonnés », c'est-à-dire placés dans les derniers rangs dans l'ordre de priorité pour le remboursement des créanciers en cas de défaillance. Cette caractéristique a notamment pour conséquence que ces prêts sont pris en compte comme des « quasi-fonds propres » pour l'établissement du ratio de solvabilité prévu par la réglementation bancaire qui s'impose à l'AFD en tant qu'établissement financier.
Cette conséquence particulière est sans effet aucun sur la nature des concours apportés par l'Etat à l'AFD au travers du compte de prêts du FDES.
VII. - Sur l'article 35
A. - Depuis le 1er janvier 1997, il a été institué une taxe sur les achats de viande, dite taxe d'équarrissage, qui est codifiée à l'article 302 bis ZD du code général des impôts.
Les dispositions de cet article prévoient notamment que la taxe est due par les personnes qui réalisent des ventes au détail de viandes et autres produits taxables, à condition que leur chiffre d'affaires de l'année civile précédente et le montant des achats mensuels hors taxes de viande soient respectivement supérieurs à 2 500 000 F et 20 000 F.
L'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2000 élargit l'assiette de la taxe à l'ensemble des produits à base de viandes, et porte les taux plafond de 0,6 % à 2,1 % et de 1 % à 3,9 %. Corrélativement, le seuil d'imposition de la taxe est relevé à 5 MF de chiffre d'affaires hors taxes.
Par ailleurs, l'affectation au CNASEA est supprimée à compter du 1er janvier 2001, le produit de la taxe revenant au budget général de l'Etat.
Pour contester cette mesure, les sénateurs requérants font valoir que la taxe ne pèsera désormais que sur une catégorie restreinte de débiteurs, la grande distribution, qui n'est pas dans une situation différente des autres entreprises qui achètent de la viande, au regard de l'objet de la taxe. Ils estiment que la référence au chiffre d'affaires global n'est pas pertinente et ne rend pas compte de la faculté contributive.
Enfin, ils soutiennent qu'en raison de l'ambiguïté de la notion de « produits à base de viande », la loi est entachée d'incompétence négative.
B. - Cette argumentation ne peut être accueillie.
1. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le nouveau seuil d'imposition de 5 MF est fondé sur des critères objectifs et rationnels.
a) En premier lieu, en effet, ce seuil correspond au seuil de chiffre d'affaires en deçà duquel les entreprises relève du régime simplifié d'imposition en matière de TVA.
A ce sujet, il faut rappeler que la taxe sur les achats de viandes est recouvrée et contrôlée selon les règles applicables en matière de TVA. Par ailleurs, un seuil de même montant a déjà été retenu pour d'autres taxes indirectes (exemple : taxe sur certaines dépenses de publicité instituée par l'article 23 de la loi de finances pour 1998 et codifiée à l'article 302 bis MA du CGI).
b) En deuxième lieu, ce seuil permet de dispenser des petites entreprises de formalités déclaratives complexes pour un enjeu financier faible.
Il importe, à cet égard, de souligner que les principaux contributeurs de la taxe étaient, d'ores et déjà, les moyennes et grandes surfaces. Ainsi, sur les 31 309 bouchers et charcutiers identifiés par la DGI, 27 264, soit 87 %, réalisaient un chiffre d'affaires inférieur à 2,5 MF. Les mêmes constatations peuvent être opérées pour les commerces d'alimentation générale (18 284 sur 20 860 en deçà de 2,5 MF).
Seront désormais dispensées de la taxe environ 2 289 entreprises, pour un produit de 16 MF, soit 2,4 % du recouvrement global de la taxe sur les achats de viande. En 1999, le produit de cette taxe s'est élevé à 657 MF pour 9 370 entreprises.
En relevant le seuil d'imposition, la loi déférée ne modifie que marginalement la répartition du poids de la taxe entre les catégories de professionnels.
En résumé, le relèvement du seuil conduit à exonérer le quart des redevables actuels, lesquels ne contribuaient qu'à hauteur de 2 % des recettes totales. La fixation de ce seuil répond donc à des considérations d'intérêt général en entraînant, pour un coût très limité, une réelle simplification.
On peut relever que, dans une hypothèse analogue, le Conseil constitutionnel a jugé pertinents de tel motifs de fixation de limites d'imposition, à propos des seuils de 500 000 F et 175 000 F pour le régime des « micro-entreprises » qui concourent à la détermination des résultats professionnels et à la franchise en matière de TVA (no 98-405 DC du 29 décembre 1998).
c) Le principe d'égalité devant les charges publiques n'est pas non plus méconnu en raison des effets de seuil, qui peuvent d'ailleurs exister quel que soit le niveau auquel est fixée l'exonération. En l'espèce, ils sont atténués par deux dispositifs ;
- l'application d'un taux réduit jusqu'à 125 000 F d'achats mensuels (soit 1,5 MF/an) ;
- et le fait que la taxe n'est pas due lorsque le montant d'achats mensuel est inférieur à 20 000 F hors TVA (soit 240 000 F par an).
En conséquence, les redevables qui réalisent un chiffre d'affaires élevé comprenant une faible part de vente de produits carnés sont exonérés.
Par ailleurs, et compte tenu des coefficients de bénéfice moyen dans la boucherie (de l'ordre de 2), une entreprise dont le chiffre d'affaires reposerait uniquement sur la vente de viande serait imposée, à partir d'un chiffre d'affaires de 5 MF, sur un montant d'achats de l'ordre de 2,5 MF.
On observera que, contrairement aux conclusions tirées par les requérants dans l'exemple cité pour étayer leur démonstration, une entreprise qui réalise un chiffre d'affaires annuel de 245 000 F de viande sur un total de chiffre d'affaires de 5,1 MF ne sera pas redevable de taxe sur les achats de viande. C'est la conséquence du dispositif d'atténuation mentionné plus haut, qui permet d'éviter la taxation des entreprises qui procèdent à des achats inférieurs à 240 000 F par an, ce qui correspond à un chiffre d'affaires d'environ 500 000 F, et qui retient un taux d'imposition plus faible pour la tranche d'achats mensuels allant jusqu'à 125 000 F.
2. En recourant à la notion de « produits à base de viandes » pour étendre l'assiette de la taxe, la loi ne méconnaît pas les exigences de l'article 34 de la Constitution.
En effet, sont actuellement soumis à la taxe les achats de viande, d'aliments pour animaux, de salaisons, produits de charcuterie, saindoux, conserves de viandes et abats transformés. Cette dernière catégorie fait partie des produits à base de viande définis par la directive 1992/5/CEE qui a été transposée par un arrêté du 22 janvier 1993 (JO du 16 mars 1993). Aux termes de cet arrêté les produits à base de viande s'entendent :
a) Des produits transformés qui ont été élaborés à partir de viandes ou avec de la viande qui a subi un traitement tel que la surface de coupe à coeur permet de constater la disparition des caractéristiques de la viande fraîche ;
b) Des plats cuisinés à base de viande correspondant à des préparations culinaires cuites ou précuites et conditionnées et conservées par le froid.
En adoptant cette expression pour définir l'assiette de la taxe, le législateur a ainsi entendu faire référence à une définition qui existe déjà et qui, étant parfaitement connue des intéressés, ne risque pas de donner lieu à des interprétations divergentes de la part des professionnels et de l'administration.
VIII. - Sur l'article 37
A. - Afin de contribuer à la réduction des émissions de dioxyde de carbone et d'inciter les redevables à maîtriser leurs consommations énergétiques, l'article 37 de la loi de finances rectificative pour 2000 étend la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à certains produits énergétiques.
Cette taxe est supportée par les personnes physiques ou morales qui reçoivent des produits énergétiques taxables, c'est-à-dire le destinataire réel desdits produits. L'assiette est constituée par le nombre total de mégawattheure reçus pour le gaz et l'électricité, par le nombre total de milliers de litres reçus pour le fioul domestique et par le nombre total de tonnes reçues pour les autres produits.
Le taux de la taxe applicable à chaque produit énergétique taxable a été fixé en fonction de son contenu en carbone, de manière à représenter une valeur de 260 F par tonne carbone.
L'article 37 prévoit deux régimes principaux de taxation, étant précisé que, pour l'année 2001, le montant de la taxe due par chaque redevable est plafonné, quel que soit le régime auquel il est soumis, à 0,3 % de sa valeur ajoutée :
- le premier régime concerne les redevables dont les consommations de produits énergétiques ne sont pas considérées comme intensives, c'est-à-dire ceux dont la consommation de l'année précédente, rapportée à leur valeur ajoutée, est inférieure à 20 tonnes équivalent pétrole ; les personnes morales ou physiques entrant dans cette catégorie ne sont soumises à la taxe que sur la fraction de leurs réceptions de produits énergétiques excédant 100 tonnes équivalent pétrole ;
- le second vise les redevables dont les consommations de produits énergétiques sont considérées comme intensives, c'est-à-dire ceux dont les consommations excèdent le seuil précité.
Enfin, chaque redevable est soumis au dépôt d'une seule déclaration par an. Les redevables dont les consommations sont inférieures à 100 tonnes équivalent pétrole en sont dispensés.
Pour contester ce dispositif, les députés, auteurs de la première saisine, invoquent d'abord le principe d'égalité devant les charges publiques : ils considèrent que le texte crée une rupture injustifiée entre les immeubles résidentiels suivant leur importance, que le système d'abattement progressif crée des effets de seuils et que celui des engagements de réduction des consommations intermédiaires d'énergie provoque des ruptures entre les entreprises, suivant que leurs consommations d'énergie peuvent ou non être réduites.
Les requérants estiment ensuite que les modalités de mise en oeuvre de cette taxe ne sont pas cohérentes avec l'objectif de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Il font également valoir que l'amendement qui est à l'origine de la nouvelle rédaction de l'article 37 a été adopté dans des conditions irrégulières.
Enfin, ils soutiennent que le régime des coopératives agricoles contient des incohérences portant atteinte aux principes de clarté et d'intelligibilité de la loi et que la loi revient sur des droits acquis à indemnisation.
De leur côté, les sénateurs, auteurs du second recours, contestent les exonérations, qui leurs paraissent injustifiées, concernant les transports et les administrations. Ils critiquent également le régime prévu pour les entreprises qualifiées d' « intensives » en énergie, ainsi que les mécanisme des abattements d'assiette.
B. - Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.
A titre liminaire, il convient de relever que les députés requérants contestent à tort l'insertion de ces dispositions dans la loi déférée, alors qu'il s'agit de dispositions fiscales, et que le troisième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance organique au 2 janvier 1959, ne distingue pas, à cet égard, entre lois de finances initiales et lois de finances rectificatives.
Par ailleurs, on observera que la rédaction de l'article 37 finalement adoptée par l'Assemblée nationale a permis que s'exerce pleinement le droit d'amendement consacré par la Constitution, en conformité avec l'article 88 du règlement de l'Assemblée nationale. La circonstance, invoquée par la saisine, qu'un délai bref se soit écoulé entre le dépôt de l'amendement qui est à l'origine de la rédaction litigieuse et son adoption est inhérente aux contraintes de délais applicables à la discussion d'un texte de cette nature et ne se heurte à aucun principe constitutionnel.
Quant aux critiques adressées au dispositif lui-même, elles ne sont pas davantage fondées, pour les raisons suivantes :
1. En premier lieu, le champ d'application de la taxe repose sur des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif que s'est fixé le législateur.
a) On relèvera d'abord que certaines critiques procèdent d'une interprétation inexacte de la loi adoptée.
Tel est le cas pour le chauffage des immeubles résidentiels. En effet, le 4e tiret du II de l'article 266 sexies A du code des douanes exonère de la TGAP les produits utilisés pour le chauffage des locaux d'habitation. Cette exonération s'applique quelle que soit la taille des locaux et le niveau de consommation (en dessous ou au-dessus de 100 TEP).
S'agissant des coopératives agricoles, le texte a été amendé au cours des débats pour remédier aux inconvénients dénoncés par les requérants. Cela permet aux coopératives de bénéficier, non plus d'un report de franchise calculé par leurs membres, mais d'une franchise spécifique de 25 TEP pour chacun de leurs membres. Cette nouvelle disposition, prévue au IV de l'article 266 octies B du code des douanes, supprime toute obligation de contrôle de leur consommation par les exploitants agricoles. Le dispositif retrouve ainsi l'avantage de la simplicité procuré par la franchise.
Le texte limite également le supplément de franchise aux coopératives dont l'activité se situe immédiatement en aval de la production agricole (séchage, vinification, stockage) et constitue un prolongement naturel de cette dernière.
b) Les dispositions concernant les transports ne sont pas contraires au principe d'égalité.
L'article 37 soumet à la taxe les entreprises qui utilisent des produits taxables (électricité, gaz naturel, fioul domestique, fioul lourd, gaz de pétrole liquéfié ou charbon) pour les besoins de leur activité. Il place en dehors du champ de celle-ci ces mêmes produits, uniquement lorsqu'ils sont utilisés pour les besoins de la propulsion ou de la traction des véhicules ou engins de toute nature. Ce ne sont donc pas les entreprises de transport qui sont exonérées mais la fonction transport, et cette exonération n'introduit aucune incohérence dans le dispositif contesté.
La taxation des carburants utilisés dans le secteur des transports, y compris à des fins environnementales, est en effet déjà largement opérée par le biais de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP). L'application d'une nouvelle taxe au secteur des transports n'apporterait aucun progrès supplémentaire par rapport à l'objectif recherché, qui est la maîtrise de la consommation d'énergie et la diminution des émissions de dioxyde de carbone.
Elle se heurterait au contraire à de nombreuses difficultés tenant à ce que seuls les transports fluviaux et ferroviaires et une partie seulement des transports routiers pourraient être effectivement soumis à la taxe :
- pour ce qui concerne le transport aérien international, la convention de Chicago de 1947 relative à l'OACI ne permet pas de soumettre les carburants des aéronefs à des impositions indirectes ;
- pour ce qui concerne le secteur des transports maritimes, les directives communautaires en vigueur, tant en matière de TVA que de droits d'accises, conduisent les Etats membres à exonérer l'avitaillement des navires de commerce en produits pétroliers.
On ajoutera que, dans le secteur des transports routiers, l'application de la taxe contestée aurait deux conséquences néfastes :
- dans la mesure où la France est un pays de transit entre le Nord et le Sud de l'Europe, seuls les carburants acquis en France seraient soumis à cette taxe ; les transporteurs ne faisant que traverser la France pourraient effectuer leurs achats de carburants dans un autre Etat membre de la Communauté et ne pourraient être soumis à la taxe en France, ce qui serait contraire aux objectifs poursuivis ;
- par ailleurs, il n'existe pas, à l'heure actuelle, de carburant de substitution permettant d'offrir une alternative au Diesel ; l'application de la TGAP aux carburants contraindrait donc les entreprises de transports à limiter leur activité au profit des entreprises étrangères non soumises à la taxe.
Enfin, l'application de la taxe dans le secteur des transports aurait nécessairement conduit, pour un même carburant, à un traitement différencié selon les modes de transport, en vue de privilégier les transports collectifs de personnes et de marchandises (rail, voies fluviales, par exemple) au détriment des autres modes de transport (route, par exemple).
Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que l'application de la TGAP au secteur des transports n'aurait pas permis d'obtenir le résultat recherché.
c) L'exonération des administrations est justifiée, dans la mesure où elle ne concerne que les activités qu'elles exercent en tant qu'autorités publiques.
En effet, lorsque des administrations exercent des activités de même nature que celles des entreprises avec lesquelles elles sont en concurrence, par exemple dans le domaine de la distribution d'eau, de l'exploitation de parcs de loisirs ou de la location d'immeubles industriels, ces activités sont traitées comme celles du secteur concurrentiel et entrent dans le champ d'application de la TGAP.
L'exonération des activités administratives des autorités publiques exerçant des missions d'intérêt général est justifiée par le fait que ces dernières, au regard des objectifs de la TGAP, à savoir la maîtrise des consommations énergétiques et des émissions de CO2, ne sont pas dans la même situation que les entreprises. Les entreprises en effet seront contraintes, du fait qu'elles opèrent sur des marchés concurrentiels qui les empêcheront dans la plupart des cas de répercuter purement et simplement le montant de la taxe sur leurs clients, de s'engager dans la réduction de leurs consommations énergétiques, ce qui correspond à l'objectif recherché par le Gouvernement.
Les administrations, par définition, échappent à cette logique : une imposition nouvelle, au titre des consommations énergétiques, n'aurait qu'une répercussion budgétaire qui, à court terme, augmenterait les coûts de fonctionnement et se traduirait par un surcroît de financement public ou, s'agissant des collectivités territoriales, par un relèvement à due concurrence des impôts locaux.
L'engagement des administrations dans une politique de maîtrise des consommations d'énergie relève d'autres moyens d'intervention que la fiscalité.
d) Enfin le caractère rationnel du champ d'application de la taxe n'est pas non plus affecté par la prise en compte des consommations d'électricité, qui est conforme aux objectifs de la TGAP.
En effet, celle-ci tend, comme il a été dit, non seulement a la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi, de façon générale, à développer la maîtrise des consommations d'énergie.
S'agissant de l'effet de serre, l'inclusion de l'électricité dans le champ de la taxe est pleinement justifiée.
Elle l'est, d'abord, par le fait que la production nationale d'électricité est, pour plus de 90 %, d'origine nucléaire ou hydraulique, de sorte que la demande supplémentaire ne peut être satisfaite que par l'électricité d'origine thermique, qui émet du dioxyde de carbone. La maîtrise de la demande d'électricité devrait donc permettre de stabiliser la production d'électricité d'origine thermique.
L'inclusion des consommations électriques est aussi commandée par l'ouverture du marché français à l'électricité de provenance étrangère, dont la structure de production est très différente de la structure nationale. Il importe donc d'éviter que cette ouverture se traduise par une augmentation de la consommation de l'électricité d'origine thermique, qui doit être maîtrisée.
Par ailleurs, il convient de souligner que l'électricité est actuellement nettement moins taxée que les autres formes d'énergie. En effet, si son tarif facial est identique à celui du gaz, qui est le plus faible, l'électricité est en fait trois fois moins taxée que le gaz, compte tenu de son pouvoir calorifique. A cet égard, il importe de préciser que le taux retenu de 13 F par mégawatt (1,3 centime par kilowatt) correspond à un contenu forfaitaire en carbone. Il est très inférieur à celui du gaz, dans la mesure ou le pouvoir énergétique d'un kilowatt d'électricité est supérieur à celui d'un kilowatt de gaz.
On ajoutera enfin que, a contrario, une exonération générale de l'électricité serait susceptible d'être analysée comme une aide sectorielle ou une aide d'Etat prohibée par le droit communautaire. Il en serait de même si la taxation était limitée à la seule électricité d'origine thermique.
2. En deuxième lieu, c'est à tort que les sénateurs requérants critiquent le dispositif spécifique prévu en faveur des entreprises qualifiées d' « intensives » en énergie.
Ces entreprises sont celles dont le ratio d'intensité énergétique, déterminé par la consommation totale de produits énergétiques par rapport à la valeur ajoutée produite, est supérieur à 20 TEP. Deux raisons justifient un traitement particulier.
La première est que la consommation énergétique est une charge importante pour ces entreprises. Tel est notamment le cas de divers secteurs industriels comme la sidérurgie (464 TEP/MF de valeur ajoutée), la production d'aluminium (1 260 TEP/MF VA), l'industrie chimique minérale (309 TEP/MF VA). La proportion des produits énergétiques dans le prix de revient de leurs produits est en conséquence déterminante, en comparaison de la situation des entreprises non intensives.
La seconde raison est que, compte tenu de ces charges, ces redevables mettent en oeuvre dans leurs procédés les technologies qui sont disponibles pour améliorer leur efficacité énergétique et donc réduire le poids de leur facture énergétique. Pour eux, les gains supplémentaires en termes de réduction des consommations nécessitent de disposer d'une technologie plus performante, coûteuse et complexe et qui, de surcroît, n'est pas nécessairement disponible dans l'immédiat.
C'est pourquoi le Gouvernement a prévu des mesures spécifiques d'atténuations de la taxe (abattement progressif d'assiette et réductions de taxe), afin notamment de préserver la compétitivité des entreprises intensives en énergie exposées à une forte concurrence internationale.
3. En troisième lieu, le mécanisme d'abattement d'assiette contesté par les sénateurs prend en compte la situation des entreprises qui est amenée à évoluer en fonction de la conjoncture économique, entraînant des variations tant de la consommation de produits énergétiques que de la valeur ajoutée de chaque redevable.
Ce mécanisme n'introduit aucun effet de seuil, dans la mesure où les coefficients prévus sont progressifs en fonction de l'intensité énergétique du redevable. Dès lors, l'hypothèse de comportement d'optimisation de redevables qui augmenteraient leurs consommations de produits énergétiques pour bénéficier d'un abattement supplémentaire n'est pas crédible.
Par ailleurs, le dispositif de plafonnement de la taxe en 2001 à un pourcentage de la valeur ajoutée du redevable permet d'éviter d'éventuels effets de seuil et d'atténuer la charge fiscale consécutive à l'entrée dans le dispositif.
L'objectif est donc à la fois d'atténuer le coût de la taxation pour ces entreprises, afin de prendre en compte l'impact de la taxation sur les conditions de concurrence, mais également de maintenir un effet incitatif pour une meilleure maîtrise de la consommation d'énergie, afin de faire contribuer ces mêmes entreprises à l'effort national de réduction des émissions de carbone.
Nos partenaires européens qui ont mis en place une « écotaxe » ont également prévu des modalités d'application permettant de concilier l'objectif environnemental et le maintien de la compétitivité internationale. Ainsi par exemple, en l'Allemagne, les entreprises industrielles bénéficient, pour leurs produits énergétiques, d'un taux réduit, fixé à 20 % du taux normal applicable. Le Royaume-Uni envisage (le système entrera en application le 1er avril 2001) une réduction de 80 % de la taxe pour les entreprises qui auront souscrit un engagement de réduction de consommation. Au Danemark, les mécanismes de remboursement au profit des entreprises industrielles laissent à la charge de ces dernières une cotisation de l'ordre de 10 couronnes danoises (environ 9 F) par tonne de CO2 émise.
4. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le mécanisme des engagements de réduction de la consommation ne crée aucune discrimination entre les entreprises concernées.
L'article 266 nonies C du code des douanes prévoit la possibilité, pour les entreprises intensives en énergie (celles ayant un ratio au moins égal à 20 TEP par million de francs de valeur ajoutée), de prendre avec l'administration un engagement, d'une durée de cinq ans, de réduction de leurs consommations de produits énergétiques et de leurs émissions de dioxyde de carbone par rapport à une situation de référence. Celle-ci sera évaluée par un expert indépendant, agréé par l'administration, qui aura pour mission de définir la consommation annuelle prévisionnelle de produits énergétiques d'une entreprise, en tenant compte à la fois des prévisions de production et des ratios d'intensité énergétique.
Le respect de ces engagements, qui implique des coûts d'adaptation pour les entreprises concernées, sera apprécié chaque année par rapport à cette situation de référence.
L'expert indépendant ne détermine nullement l'assiette de la TGAP-Energie. Celle-ci demeure du domaine exclusif du législateur, conformément à l'article 34 de la Constitution. L'article 266 nonies C définit en effet l'assiette de la TGAP-Energie due par ces redevables comme la quantité totale de produits reçus excédant le seuil de 100 TEP. L'assiette de la taxe n'est donc pas constituée par la situation de référence déterminée par l'expert mais bien par la consommation réelle de produits énergétiques.
Le recours à un expert s'explique par le degré de technicité requis pour évaluer la situation d'un redevable intensif en énergie, afin de mesurer les efforts accomplis par ce redevable en termes de réduction de ses émissions de dioxyde de carbone et de sa consommation de produits énergétiques.
De manière générale, on observera qu'il est de la nature même d'un tel impôt que les éléments qui en constituent l'assiette puissent varier en fonction de certains facteurs. L'essentiel est que la loi l'ait prévu, ce qui est le cas en l'espèce avec l'intervention de cet expert.
5. Enfin c'est à tort que le recours des députés soutient que l'article 37 de la loi déférée remet en cause les dispositions de l'article 91 de la loi no 85-30 du 9 janvier 1985, qui accorde aux communes de montagne sur le territoire desquelles sont implantés des ouvrages hydroélectriques un dédommagement sous la forme d'un contingent d'énergie, et de l'article 8 de la loi no 46-628 du 6 avril 1946 relative à la nationalisation du gaz et de l'électricité qui accorde aux entreprises qui détenaient pour leur propre usage des installations de production énergétique dont une partie de la production était revendue et qui ont été nationalisées, des dédommagements sous forme de quantités d'énergie électriques et gazières.
En réalité, la taxation à la TGAP de ces contingents ou fournitures énergétiques particuliers ne remet aucunement en cause le principe de ces indemnisations, dont les quotités ne sont ni modifiées ni supprimées. Leur exonération, en revanche, créerait une rupture de l'égalité devant les charges publiques :
- les communes de montagne recevant des contingents d'énergie seront, comme les autres communes, exonérées au titre de leur activité d'autorité publique, et soumises à l'impôt pour celles de leurs activités qui entreraient en concurrence avec le secteur privé ;
- les entreprises recevant des dédommagements au titre des nationalisations de 1946 seront soumises à la taxe, en fonction de leur intensité énergétique, dans les mêmes conditions que la généralité des entreprises.
L'exonération de ces dédommagements serait donc injustifiée et irait, en outre, à l'encontre de l'objectif poursuivi par la loi, à savoir la maîtrise des consommations énergétiques et des émissions de CO2, quelle que soit l'origine des produits.
IX. - Sur l'article 48
A. - L'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications fixe le principe d'une rémunération versée aux opérateurs pour les prescriptions exigées par la défense et la sécurité publique, en particulier pour celles qui concernent les interceptions téléphoniques.
Dans la perspective de l'extension ou de la mise à niveau des réseaux existants et de la construction des nouveaux réseaux de télécommunications, l'article 48 de la loi déférée prévoit une modification de l'article L. 35-6, afin d'assurer la prise en charge, par les opérateurs, d'une partie de ces dépenses.
Les investissements, ainsi que le choix des solutions technologiques les mieux adaptées, relèvent en vertu de cet article de la responsabilité des opérateurs, tandis que l'Etat participe au financement des frais d'exploitation de ces systèmes, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
Les parlementaires requérants estiment que la mise à la charge des opérateurs de ces investissements est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques et critiquent l'absence d'indemnisation. Ils considèrent également que l'article 48 porte atteinte à des situations légalement acquises et qu'il est entaché d'incompétence négative.
B. - Ces moyens ne sont pas de nature à justifier la censure de l'article 48.
1. S'agissant, en premier lieu, de l'égalité devant les charges publiques, ce principe ne fait pas obstacle à ce que des sujétions particulières puissent être imposées à une catégorie d'opérateurs économiques, sans pour autant prévoir une compensation indemnitaire totale, dès lors qu'elles s'inscrivent dans un objectif d'intérêt général et qu'elles correspondent à la nécessité de répondre à des risques intrinsèques au secteur économique concerné.
A cet égard, l'argumentation que les requérants tirent du caractère régalien des missions en cause et de la jurisprudence du Conseil d'Etat relative au financement des missions de la gendarmerie sur les autoroutes ne peut être considérée comme décisive. Dans l'arrêt Wajs et Monnier du 30 octobre 1996 dont se prévalent les requérants, le Conseil d'Etat a jugé que le coût de telles missions ne peut être mis, par décret, à la charge des concessionnaires d'autoroute, c'est-à-dire des usagers, à travers la répercussion de ce coût dans le montant des péages. Il s'agit de dépenses qui ne sont pas essentiellement exposées dans l'intérêt de ceux à qui un décret avait entendu les faire supporter par un mécanisme de redevances, mais dans l'intérêt général.
La conclusion de ce raisonnement, tout comme celle du raisonnement analogue fait par la haute juridiction administrative dans ses décisions sur le financement des contrôles de sécurité dans les aéroports, est simplement que le pouvoir réglementaire n'est pas compétent pour décider de faire supporter par l'usager d'un service des dépenses qui ne sont pas essentiellement exposées dans son intérêt propre.
Dégagée pour encadrer l'action de l'autorité administrative, cette jurisprudence n'est pas transposable au cas où le législateur lui-même intervient pour imposer une telle sujétion. C'est d'ailleurs ce que le Conseil constitutionnel a admis lorsqu'il a eu à connaître de la taxe créée à la suite de la censure, par le Conseil d'Etat, du mécanisme de redevance qui avait été auparavant mis en place pour financer les missions de sûreté dans les aéroports : la décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998 juge expressément que le législateur n'a pas créé de rupture caractérisée de l'égalité entre les redevables de cette taxe et les autres citoyens.
En l'espèce, ce n'est pas un mécanisme de taxe qui a été retenu, mais le législateur n'a pas davantage créé de rupture d'égalité en imposant aux opérateurs des obligations spécifiques. Tout comme les compagnies aériennes qui supportent, à travers la taxe mise en place par la loi de finances pour 1999, le financement de missions de sûreté dont le développement est lié à la croissance de l'activité du transport aérien, le développement des réseaux de télécommunications s'accompagne d'un accroissement de risques réels, pour la défense et la sécurité publique, qui justifient que les opérateurs contribuent à y répondre de façon appropriée.
En particulier, la technologie du téléphone mobile se caractérise par :
- des difficultés très grandes de localisation géographique des appels, contrairement aux communications par liaison fixe, qui lui confèrent un caractère attractif pour des usages délictueux ;
- l'existence de possibilités, largement utilisées par les usagers, de prépaiement des communications par cartes anonymes qui, contrairement aux abonnements, ne permettent pas l'identification aisée de l'origine des appels, faute de la possibilité d'y associer un compte d'abonné ou un compte bancaire ;
- et, au surplus, une évolution très rapide des technologies, qui impose un renouvellement des méthodes et matériels d'interception et leur conception parallèlement au développement de ces technologies.
L'obligation qui pèse sur les opérateurs s'analyse comme une condition particulière, à laquelle est soumis l'exercice de l'activité concernée. Elle vise à rendre possible l'exercice des interceptions, sans pour autant substituer les opérateurs à l'Etat dans la mise en oeuvre de cette mesure. Elle peut être comparée aux contraintes qui pèsent, par exemple, sur les exploitants de dépôts d'hydrocarbures qui ont l'obligation de maintenir un niveau minimal de stock stratégique, permettant notamment de garantir l'approvisionnement énergétique de la force publique.
Les opérateurs étant dans une situation spécifique, au regard des besoins nouveaux de sécurité induits par le développement de leurs réseaux, le législateur a pu légitimement leur imposer les obligations que prévoit l'article 48.
Ainsi, en clarifiant le régime des responsabilités applicables, la mesure en cause amène les opérateurs à prendre en compte les systèmes d'interception dès la conception de leur réseau de télécommunications comme l'implique la loi du 10 juillet 1991, ce qui doit permettre une meilleure performance technique et une disponibilité de ces systèmes dès l'ouverture au public.
2. En deuxième lieu, c'est à tort que les requérants se prévalent de la jurisprudence issue de l'article 17 de la Déclaration de 1789 pour critiquer l'absence d'une indemnité « juste et préalable ».
Une mesure comme celle qui est en cause ici ne saurait, en effet, s'analyser comme une dépossession du droit de propriété ou d'un démembrement de celui-ci.
3. En troisième lieu, le moyen tiré d'une atteinte aux situation acquises est inopérant : s'il est exact que, dans sa rédaction jusque-là applicable, l'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications ne prévoyait pas d'imposer les mêmes contraintes aux opérateurs, cette circonstance ne fait évidemment pas obstacle à ce que le législateur adopte ensuite des dispositions différentes, si elles lui paraissent plus appropriées.
4. S'agissant enfin du moyen tiré de l'incompétence négative, on observera que la loi fixe le principe de l'obligation et de la réalisation des investissements par les opérateurs. Elle fixe également le principe d'une participation de l'Etat au financement des charges d'exploitation que devront supporter les opérateurs pour la mise en oeuvre des moyens nécessaires.
Il ne résulte pas de l'article 34 de la Constitution que la loi devait énoncer en détail le mode de calcul de cette participation.
X. - Sur l'article 64
A. - L'article 64 a pour objet d'autoriser la Caisse de mutualité sociale agricole (CMSA) de Corse à accorder un plan d'échelonnement de la dette sociale des exploitants agricoles portant sur les cotisations patronales de sécurité sociale des exercices antérieurs au 31 décembre 1998.
Les auteurs de la saisine estiment que cette mesure est contraire au principe d'égalité en raison de la discrimination qu'elle introduit entre les agriculteurs installés en Corse et ceux du continent. Ils critiquent en outre son insertion en loi de finances.
B. - Ces critiques appellent les observations suivantes :
1. Au regard du principe d'égalité, tout d'abord, l'adoption de mesures spécifiques pour les responsables d'exploitations agricoles situées en Corse se justifie par leur situation particulière
Contrairement aux évolutions connues par le reste du territoire français, l'agriculture ne s'est réellement développée, en Corse, qu'après la Seconde Guerre mondiale. Pour rattraper ce retard, dans les conditions tant géographiques que climatiques propres à cette île, un très important effort d'investissement s'est révélé nécessaire, d'où la situation de surendettement des agriculteurs corses par rapport aux agriculteurs continentaux.
Certaines crises conjoncturelles sont venues rendre le remboursement de leurs dettes extrêmement difficile pour nombre d'entre eux. C'est notamment le cas dans la viticulture qui a eu à faire face en quelques années à la substitution de vin d'appellation à des vins de coupage. La Caisse de mutualité sociale agricole de Corse doit donc faire face à un taux de recouvrement des cotisations incomparablement moins élevé que sur le continent.
C'est à cette situation spécifique qu'il s'agit de faire face par un dispositif qui, aux termes même de la loi, ne concerne que les exploitants qui ont déjà accompli un effort pour s'acquitter de leurs obligations, notamment en étant à jour de leurs cotisations au titre des deux dernières années, et qui s'engagent à poursuivre cet effort. La mesure doit en effet permettre aux exploitations agricoles économiquement viables de poursuivre leur activité.
A l'inverse, en l'absence d'une telle disposition, une grande partie de ces exploitations seraient condamnées à la liquidation judiciaire en raison du passif accumulé pour les raisons évoquées plus haut.
Ainsi, non seulement, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, les exploitants agricoles installés en Corse et ceux du continent sont bien placés dans une situation différente par rapport à l'objet de la disposition en cause, mais, de surcroît, un évident motif d'intérêt général s'attache à ce que le législateur prenne les mesures permettant de maintenir le tissu agricole insulaire.
2. En second lieu, une telle mesure a sa place en loi de finances. En effet, les remises de dettes accordées dans le cadre des plans d'apurement à conclure entre la caisse de MSA de Corse et les exploitants agricoles seront prises en charge par le budget de l'Etat, comme le prévoit explicitement le VI de l'article .
La charge pour l'Etat sera répartie au plus sur neuf ans, compte tenu du délai d'un an ouvert à compter de la publication de la loi pour conclure les plans d'apurement qui pourront comporter, soit une remise de 50 % de la dette des exploitants dès paiement de la moitié du montant de leur dette, soit la remise des dettes restantes après qu'auront été constatées pendant huit années les paiements prévus par un échéancier de report et de rééchelonnement des paiements. L'impact budgétaire total est évalué à 150 MF.
Le financement de la charge budgétaire des plans qui seront conclus et exécutés avant le 31 décembre 2001 sera assuré par le chapitre 44-77 « Compensation de l'exonération des cotisations sociales », article 43 « Exonération de cotisations sociales au titre de la zone franche de Corse », au titre IV du budget de l'emploi.